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Nicolas de Staël ou la peinture à « mille vibrations »





Le 22 Novembre 2023, par Christine de Langle

Vingt ans après la grande exposition organisée par le Centre Pompidou, Paris propose une nouvelle rétrospective Nicolas de Staël qui met en lumière le travail de l’artiste. Deux textes majeurs viennent d’être publiés, la Correspondance de l’artiste et le Journal des années Staël de son ami poète, Pierre Lecuire. C’est donc un nouveau regard sur l’homme et l’artiste que nous propose cette exposition.


Denise Colomb, Nicolas de Staël dans son atelier rue Gauguet, Été 1954 Photo© Donation Denise Colomb © RMN -Grand-Palais
Denise Colomb, Nicolas de Staël dans son atelier rue Gauguet, Été 1954 Photo© Donation Denise Colomb © RMN -Grand-Palais
Montrer l’artiste au travail
Pour la première fois sont exposés ensemble, dessins, gravures et peintures. Il s’agit de montrer l’artiste au travail : un mouvement qui va du travail expérimental au chef-d’œuvre, qu’il appelle « grand œuvre », dans un aller-retour incessant. Vivre tout simplement ne lui allait pas, rappelle sa fille Anne, « on était la pour quelque chose ».

Pas une minute à perdre ! Cela donne une production à peine croyable de plus de mille cent peintures et autant de dessins. Parmi les deux cents œuvres choisies par les commissaires de l’exposition, un quart est présenté pour la première fois et plus de la moitié des œuvres viennent de collections privées. On ne possède pas un Nicolas de Staël, on entretient un dialogue avec lui.
 

Eau-de-vie, 1948, Huile sur toile 100 x 81 cm Paris-Lisbonne, Galerie Jeanne Bucher Jaeger © ADAGP, Paris, 2023 Courtesy Galerie Jeanne Bucher Jaeger, Paris-Lisbonne/Photo Georges Poncet
Eau-de-vie, 1948, Huile sur toile 100 x 81 cm Paris-Lisbonne, Galerie Jeanne Bucher Jaeger © ADAGP, Paris, 2023 Courtesy Galerie Jeanne Bucher Jaeger, Paris-Lisbonne/Photo Georges Poncet
« Le Prince foudroyé »
Disparu à 41 ans, la tentation a souvent été grande de voir son œuvre à la lumière de son suicide. Nombreux ceux qui ont façonné la figure de héros romantique qui trouve son origine dans une histoire familiale tôt brisée par la Révolution bolchévique. Né en 1914 à Saint-Pétersbourg d’un père issu de la haute aristocratie, le général Staël von Holstein, vice-gouverneur de la forteresse Pierre et Paul, et d’une mère qui appartient à la grande bourgeoisie cultivée et artiste, Nicolas fuit avec ses parents en 1917 en Lituanie et Pologne, où les enfants Staël se retrouvent orphelins en 1922.

Élevée à Bruxelles par la famille Fricero, d’origine russe, la fratrie reçoit une éducation soignée. Nicolas ne pense qu’à la peinture. Toute sa vie sera désormais tendue vers cet objectif, peindre, mais « on ne peint pas ce que l’on voit, on peint à mille vibrations le coup reçu ».
Le mythe est en route, un « prince russe » jeune et beau, éternel exilé, qui se donnerait la mort, par passion pour une femme ou pour la peinture ?

Le rapport à la tradition
Pour Nicolas de Staël, un vrai tableau est une confrontation avec l’histoire autant qu’avec le motif. Chaque tableau est l’occasion d’un dialogue avec les grands peintres, passés et présents. Il aime « discuter » avec eux. Au sommet de son panthéon, les peintres du nord, flamands et hollandais, « Je serai aussi grand que Rubens et Rembrandt », en Espagne qu’il parcourt en 1936, il découvre Velasquez, « le roi des rois ».

Si, lors de sa première exposition à Bruxelles au printemps 1936, des peintures d’icônes côtoient des paysages d’Espagne, c’est qu’il est « plus byzantin que latin ». L’expérience de l’icône lui dévoile un monde sans ombre, où tout est lumière, une peinture entre visible et invisible, proche à la pensée orientale.

Mais son vœu le plus cher « se reconnaître comme un éminent peintre français », car cet apatride depuis 1917, naturalisé français en 1948, privé trop tôt de sa famille d’origine, s’est constitué une nouvelle famille, celle des peintres français. Watteau, « la plus belle pâte du monde », Chardin qui influence ses dernières natures mortes, Delacroix sur les traces duquel il s’élance au Maroc un siècle plus tard. Il qualifie La Mort de Sardanapale de « maître tableau de la peinture universelle, avec son mélange de grandiose et de cocasse ». Delacroix encore avec lequel il partage le goût de l’écriture, de la musique, de la poésie, tout ce qui peut nourrir la sensation du monde qui l’entoure. Cézanne et Van Gogh sont deux rivaux qu’il se choisit pour se dépasser. Parler de peinture et parler de sa peinture pour tenter d’avancer.
 

Table à palette, 1954, fusain sur papier, 145 x 104 cm, Paris, Centre Pompidou, Musée national d’art moderne  © Centre Pompidou, MNAM-CCI
Table à palette, 1954, fusain sur papier, 145 x 104 cm, Paris, Centre Pompidou, Musée national d’art moderne © Centre Pompidou, MNAM-CCI
Abstrait ou figuratif ?
Dans cette première moitié du XXe siècle, le débat fait rage entre partisans de l’abstraction et les tenants du figuratif. Nicolas de Staël ne supporte pas cet enfermement idéologique et s’attache à brouiller les pistes. À l’heure des débats entre abstraction lyrique ou géométrique, il se définit « figuratif abstrait », car il a besoin de la réalité sensible pour la transformer en réalité picturale. Les célèbres paysages de Sicile (Agrigente) illustrent la volonté de ne garder que la sensation de lumière intense et d’espace grandiose. Peindre les éléments.

« Une peinture devrait être à la fois abstraite et figurative. Abstraite en tant que mur, figurative en tant que représentation de l’espace. L’enjeu est l’intensité ». C’en est fini de la peinture « fenêtre ouverte » sur le monde et l’illusion perspective mise en place depuis la Renaissance. Désormais la profondeur est épaisseur de la matière. Trois étapes d’une « Composition de 1950 » présentées côte à côte permettent de comprendre son cheminement. Les couches de matière sont peu à peu recouvertes tout en laissant apparaître une trace des premières couleurs. Une épaisseur de matière qui nous dit la force de l’engagement de l’artiste. « La seule chose sérieuse dans un tableau, c’est la profondeur : l’épaisseur, le travail à la truelle et au couteau ».
 

Fugue, 1951-1952, Huile sur toile, 80,6 x 100,3 cm, Washington, The Phillips Collection © ADAGP, Paris, 2023 The Phillips Collection, Washington, D.C. / Photo Walter Larrimore
Fugue, 1951-1952, Huile sur toile, 80,6 x 100,3 cm, Washington, The Phillips Collection © ADAGP, Paris, 2023 The Phillips Collection, Washington, D.C. / Photo Walter Larrimore

Qu’est-ce que la peinture ?
Nicolas de Staël nous force à nous interroger. La peinture est-elle une activité comme une autre ? Est-ce une manière de voir ? Un rapport au monde ? Son monde est un pas de deux entre le dehors et le dedans. L’artiste éprouve le besoin d’alterner la peinture sur le motif et le travail en atelier. Voyager et rester. « Fragmentation » et « Condensation » sont deux étapes du parcours de l’exposition.

Chaque tableau est un monde à construire entre concentration des lignes et des couleurs, et respiration de ces mêmes éléments. À son ami Pierre Lecuire, il précise ce qu’est la peinture « ni représentation d’objets, ni couleur, mais ce qui est entre les objets, c’est-à-dire des rapports, ça c’est la peinture, l’entre-deux ». Un entre-deux qu’il compare au silence entre deux notes de musique ou entre deux sons poétiques. À l’égal de Delacroix, la musique, la littérature et la poésie nourrissent sa peinture et l’écriture lui permet de clarifier sa pensée. On découvre dans une correspondance abondante un artiste à l’écriture élégante et précise. C’est aussi la rencontre avec René Char installé à l’Isle sur Sorgue qui lui fait découvrir la région. Cette complicité artistique et poétique se concrétise par ces Poèmes de 1952, illustrés par des bois gravés.

Si pour Nicolas de Staël, « l’art est une mise en jeu de la vie », le visiteur doit être à la hauteur de l’enjeu et accepter que chaque tableau soit une rencontre, avec l’artiste, mais aussi avec lui-même. Le peintre donne à chacun la possibilité de « voir le monde » avec intensité, « à mille vibrations ».
 

Christine de Langle

Nicolas de Staël
Musée d’art moderne de Paris
15 septembre 2023 - 21 janvier 2024
Christine de Langle  Nicolas de Staël Musée d’art moderne de Paris 15 septembre 2023 - 21 janvier 2024
Christine de Langle Nicolas de Staël Musée d’art moderne de Paris 15 septembre 2023 - 21 janvier 2024


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